Au coeur d'un parc de 6 hectares, le moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult-en-Yvelines vous entraîne dans l'intimité d'Elsa Triolet et d'Aragon. Ce moulin de la fin du XIIe siècle fut souvent le décor et la source d'inspiration des écrits du couple. L’Académie de la poésie Française y a posé ses valises le 20 mai 2023 le temps d’une visite et d’une scène ouverte en hommage aux deux écrivains.
« Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres nous réunira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur, à toi et à moi ». Dès que l’on franchit la porte du Moulin de Villeneuve, on est plongé dans l’intimité d’un couple hors du commun, celui d’Elsa Triolet et d’Aragon. De la canne posée sur la cheminée à l'éphéméride arrêté à la date du 16 juin 1970, tout dans les six pièces habitées par le couple est resté tel qu'il était à la mort de la romancière.
Mais ce qui frappe le plus, ce sont les murs tapissés de livres à tous les étages. Sur la mezzanine se déploie la bibliothèque russe d’Elsa Triolet et sous les combles celle du couple avec pas moins de 30 000 ouvrages dont la plupart sont dédicacés par les auteurs.
Sans oublier le placard aux insomnies d’Elsa dissimulé dans la chambre du couple et contenant des centaines de volumes de la Série noire. Un genre littéraire quelque peu méprisé à l’époque. Dans son roman « le rossignol se tait à l’aube » publié en 1970, elle décrit ainsi sa collection « Pour m’endormir je lisais des livres sans consistance que l’on jette comme des Kleenex. Prélude au sommeil ; l’autre chose à quoi penser… les moutons à compter, les vagues de la mer. Je ne suis pas encore allergique à la Série noire. »
Aragon, figure du surréalisme et militant communiste, et Elsa Triolet, romancière et traductrice d’origine russe et première femme à obtenir le prix Goncourt en 1944, s’aiment depuis plus de vingt ans lorsque le poète offre le Moulin à sa muse. Un petit coin de terre de France, où elle se sent immédiatement chez elle. Dans ses lettres à Lili Brik, sa sœur, la romancière s’émerveille de la beauté du parc, du confort de la demeure avec entre autre un réfrigérateur américain qui fonctionne encore ! Jamais elle n’avait possédé ni parc, ni jardin sauf la case de Tahiti avec son premier mari.
Tout dans le moulin respire la présence et les goûts d’Elsa. Architecte de formation, elle décore les lieux en récupérant et en détournant des objets comme des faisceaux de balance ou des pagaies polynésiennes transformés en luminaires. Sous ses doigts, les matériaux d’électricité ou les pièces de plomberie deviennent des bijoux fantaisie qu’Aragon va vendre, à l’époque des vaches maigres, aux couturiers parisiens parmi lesquels Elsa Schiaparelli. Quelques spécimens sont exposés dans la chambre.
La céramique, les collages de Fernand Léger, les poteries de Picasso, une illustration du poème Liberté de Paul Eluard ou encore le menu dessiné par Pablo Nureda, rappellent à quel point le couple était au centre de la création artistique de l’époque.
Uni pour l’éternité, le couple repose dans la sérénité du parc en surplomb du moulin. Comme un grand lit, leur sépulture regarde la maison, dans le calme et la solitude.
Mireille HEROS
6 juin 2023
Créations artistiques de l'époque, de Picasso à Pablo Nureda en passant par Paul Eluard
Le reportage de Jean Génisty