LE BONHEUR DANS LA RIME
La poésie française a toujours été régulière donc rimée.
Mais de petits malins ont imaginé de la libérer en la démolissant complétement. Les symbolistes et les parnassiens ont perpétué la saine tradition classique alors que les surréalistes et les dadaïstes se concurrençaient dans la destruction.
Et pourtant en 2006 Camille Laurens écrit, dans « Ni toi ni moi » (P.O.L Editeur) : « Sur le thème de la répétition, j’étudie ce qui me fascine dans la reprise du motif en poésie ou en musique, dans le refrain ou la variation, la rime ou le rythme, le plaisir dont j’attends le retour. »
De son côté, un peu plus tard, Sophie Nauleau, dans « La poésie à l’épreuve de soi » (Actes Sud, 2018) affirme : « On apprend Racine à l’école par cœur, on chantonne du Charles Trenet…et l’on sent peu à peu naître en soi cet attrait de la strophe. Grandir cette pulsation de la rime. S’enraciner ces syllabes masculines et féminines qui, selon l’humeur, s’embrassent ou pas. Cela s’entrelace dans le sang autant que dans la mémoire. Et cela bat au fond du corps, même muettement. »
Dans le Figaro littéraire du 9 mars 2023, Thierry Clermont dresse le portrait du poète Jacques Reda, sous le titre « La rime est toujours son dada ». Il précise que cet auteur de 94 ans « accompagne son œuvre d’une vaste réflexion sur le rythme et la prosodie, lui qui reviendra progressivement à la métrique classique, notamment l’alexandrin, et à la rime. Comme il nous l’a dit : « Ecrire en vers réguliers est plaisant, et la rime est intelligente. Elle sait d’avance ; elle devine, et elle appelle une de ses copines. »
Plus loin, dans la même grande page, le critique note : « Et la poésie, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui ? Les jugements de Jacques Reda sont sans appel : « Il n’y a pas de liberté sans contrainte. Et je reste fidèle aux exigences de mon oreille. Mais aujourd’hui la poésie se réduit trop souvent à de la prose mise en petits bouts !»
La poésie, décidément, est un thème inépuisable et récurrent. Ecoutons le philosophe Michel Onfray qui, dans le Figaro Magazine du 28 juin 2024, dialogue avec le chanteur Gérard Manset : « Il me semble que la poésie s’est aujourd’hui réfugiée dans le meilleur de la chanson française. Gérard Manset, c’est Rimbaud + l’électricité. La poésie se trouve rarement dans les maisons d’édition où les collections sont trustées par de mauvais poètes qui ne publient que leurs textes étiques et autistes et ceux de leur smala. Il existe aujourd’hui un cercle germanopratin de la poésie, récemment un peu fissuré avec la polémique du Printemps des poètes, tenu par des gens qui la confisquent, font l’éloge de la vie poétique, et vivent comme Monsieur Homais dans sa pharmacie. »
Après ces accords discordants et quelque peu grinçants, goûtons à la voix pure
de Cécile Coulon qui, dans le Madame Figaro du 9 août 2024 déclare voyager en poésie et rappelle cette belle citation de Marguerite Yourcenar : « Vous autres poètes avez fait de l’amour une immense imposture : ce qui nous échoit nous semble toujours moins beau que ces rimes accolées comme deux bouches l’une sur l’autre. »
Plus près de nous, le Figaro du samedi 5 octobre 2024 consacre une pleine page au « retour en grâce de la poésie ». Sous la plume de Dorian Greller on apprend que :« Passant du micro à la plume, les artistes français perpétuent la tradition des chanteurs-poètes avec de plus en plus de succès. Au point de supplanter auteurs contemporains et classiques dans les palmarès des meilleures ventes. »
Il note en fin d’article : « N’allons pas penser pour autant qu’au pouvoir prescripteur des professeurs se substitue celui des chanteurs. Les bonnes ventes des textes de Prévert…inscrits au programme du baccalauréat, en témoignent…Enfin, à ceux qui s’interrogent quant à la qualité littéraire des vers, Baudelaire a répondu par avance : « Aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. »
Puisque nous évoquons ce magicien parfait, cela me rappelle ce quatrain malicieux de Jean-Victor Pellerin, épigone de l’Ecole Fantaisiste :
Dût-on me traiter de ballot,
J’affirme et tiens pour exemplaire
La façon dont un Baudelaire
Se soumet aux lois d’un Boileau.
Jacques Réda est mort le 30 septembre 2024 à l’âge de 95 ans. Le lendemain, dans le Figaro du 1er octobre, Thierry Clermont et Astrid de Larminat écrivaient : « Toute son œuvre poétique est accompagnée d’une réflexion sur le rythme. C’est ainsi qu’à rebours des courants poétiques modernes, il reviendra progressivement à la métrique classique, à l’alexandrin notamment. Il travaillait à un nouveau livre sur le rythme. Pourquoi ? Parce que « quand on danse, on sort du temps...»
Jacques Roubaud, poète de l’Oulipo, que j’ai rencontré en son temps chez Bernard Pivot (dans les années 1990), a disparu le 5 décembre 2024, le jour de ses 92 ans. Dans le Figaro du 7 décembre, Thierry Clermont lui a rendu hommage en ces termes : « Nous l’avions rencontré en 2012, il nous avait confié qu’il avait renoué avec la rime (comme Réda), longtemps honnie par les avant-gardes : « Aujourd’hui, le besoin de rime est fortement ressenti, c’est l’évidence, alors qu’elle a été condamnée il y a plus d’un siècle. Regardez ce qui se passe avec le rap et le slam. Les poètes y reviennent, las sans doute des formalistes, des performers, de ceux qui font du dada régurgité, bref tout ce vroum-vroum poétique. La rime, ça sonne. Elle n’est pas seulement une vieille recette du passé. La poésie contient le futur de la langue, si menacée aujourd’hui. Le poète doit être le gardien de sa langue.»
On ne saurait mieux dire. Peut-on imaginer une peinture sans couleurs, ou une musique sans solfège ?
Je pose la question, car je connais la réponse !
Daniel ANCELET
On ne rit bien qu’en français !
Prince de Ligne
Cité par Avenir de la langue française n°78, décembre 2022
La Commission européenne impose l’anglais comme langue de travail dans l’organisme intitulé « L’Alliance pour les technologies des langues », qu’elle vient de créer et qui sera installé dans le château de Villers-Cotterêts, dans l’Aisne.
Le Figaro du jeudi 11 avril 2024
Désormais, au château de Villers-Cotterêts,
Qu’on a vu consacrer à la langue française,
La langue de travail ne sera qu’en anglais,
Et c’est dans ce sabir qu’on va sucrer les fraises.
Mais moi, mes beaux Messieurs, je la trouve mauvaise,
La corde au cou comme les bourgeois de Calais,
Et comme eux les pieds nus, avant qu’on ne se taise,
Je ne peux désormais plus pleurer qu’en français !
Daniel Ancelet
Mon médecin m’oblige à marcher sans chaussures,
Mais demeurer pieds nus n’est pas la sinécure,
Me voici donc puni, mais par où j’ai péché,
C’est drôle de façon de se prendre le pied,
Comme je ne peux donc circuler qu’en chaussettes,
Ce n’est pas élégant lorsqu’on se veut poète !
Ne prétendez pas que je vous casse les pieds,
Même si mon humeur m’inspire un pied de nez,
Et si dans mes propos j’exprime mon mal d’être,
Ce n’est pas que je sois pris au pied de la lettre,
Je fais le pied de grue et vais en va- nu- pieds,
Mais c’est au pied du mur qu’il me faut m’afficher !
On dit bon pied, bon œil et que la vie est douce,
J’eus plus de croche- pied que de bons coups de pouce,
Contre le mauvais sort, j’ai lutté pied à pied,
Mais ne me dites pas que j’écris comme un pied,
Car c’est mon cœur qui parle, et si je rends les armes,
C’est pour baiser vos pieds que j’arrose de larmes !
Daniel Ancelet
Cette façon de n’être entré dans nos ombres que pour y porter un petit peu de lumière, comme un papillon entre un soir au jardin et s’en va devant la nuit.
Louis- Ferdinand Céline
LONDRES
Mon poème est un papillon
Qui vient sur le dos d’un rayon,
Entre au jardin dans la soirée
Et s’en va dès la nuit tombée.
Mon poème est un papillon
Dans mon pinceau, sous mon crayon,
Même si ce n’est pas grand-chose,
Il vous donne le goût des roses.
Mon poème est un papillon,
Il va, il vient, il tourne en rond,
Et part sans faire de manières…
Mais il apporte sa lumière !
Daniel Ancelet
Avril 2023
Ce sont deux mères qui attendent
Devant la porte d'un café,
Où les jeunes crabes, en bande
Aiment à boire et à chanter.
Un crabillon en sort en trombe
Et sans un seul pas de côté
Il va tout droit, comme une bombe,
Sur son rocher pour y cuver.
Sa trajectoire est exemplaire,
Une simple droite, c'est tout :
Hélas, soupire alors sa mère,
Je crois bien que mon fils est saoul.
Daniel ANCELET
On passe par différents goûts
En passant par différents âges,
Plaisir est le bonheur des fous,
Bonheur est le plaisir des sages.
Le chevalier de Boufflers
Mélusine ma sœur, mon enfant, ma bataille,
Rêverons-nous encore à ces chastes fiançailles,
Où l’âme parle à l’âme avec tant de douceur,
Que cette évocation nous fait battre le cœur ?
Sur nos bouquets épars et sur nos amours mortes,
Nous n’oublierons pas de refermer les portes,
Mais nous nous souviendrons de ces moments heureux
Dans ces jardins secrets où l’on n’est bien qu’à deux !
Daniel ANCELET
VOLTEFACE
C’est dans un doux froissement d’ailes,
Que la Muse, sortant du bois,
M’abandonne un moment ses doigts,
Car je n’aurais rien d’autre d’elle.
Peu me chaut de ces latitudes
Où siègent de plus hauts désirs :
Au carrefour des solitudes
Se place le banc des soupirs.
Puisqu’il n’est plus permis d’avoir mes jeux d’enfant,
Il me reste un secours dont j’use, saperlotte,
Je traite mes amis comme des échalotes,
Et les fais doucement revenir au vin blanc.
Si j’étais votre chien, au petit déjeuner,
Vous n’auriez jamais droit à de vastes harangues,
Mais je renverserais votre tasse de thé,
Pour vous débarbouiller à vastes coups de langue !
On revient à l’amour comme on remonte au front,
Car qu’on le veuille ou non, il s’agît d’une guerre
Où l’âme en plein élan étreint une chimère
Pour naître chrysalide et mourir papillon !
VIREVOLTE
Mon cœur ronfle comme une forge,
Car je lui dis, chaque matin :
Amour, je t’ai pris par la main,
Ne me saute pas à la gorge !
Ce bref hommage à Baudelaire,
J’ai mis, si je sais bien compter,
Quelques minutes pour le faire,
Mais trente ans pour y arriver !
Si je poursuis, avec ma flamme,
Ce que je trouve sous mes paz,
C’est que je suis, avec les femmes,
Comme les chiens avec les chats.
Même s’il me prend pour un autre,
Je poserai, c’est mieux que rien,
Mon baiser sur le nez du chien,
Puisque vous refusez le vôtre.
Ma recette, s’il plaît à Dieu,
Je vous en livre ici le code :
C’est d’ être en retard d’une mode,
Pour être en avance de deux !