Bibi-la-Purée, compagnon de Verlaine
Figure emblématique de la vie de bohème de Montmartre et Pigalle, André Joseph Sales dit Bibi-la- Purée fut le compagnon de Verlaine. Il était bien connu des services de police pour le vol de parapluies et le cirage des pompes. En un mot : un personnage haut en couleur. Christian Gury lui a consacré un ouvrage qu’il a présenté à l’Académie de la Poésie Française lors de la conférence du 8 novembre 2023.
La rencontre. Assis à la terrasse d’un café devant un verre d’absinthe, Paul Verlaine ressemble plus à un clochard qu’à un poète avec son par-dessus méchamment déchiré. Sans mot dire, un homme s’arrête, tire de sa poche du fil et une aiguille et répare le vêtement. Il n’est pas, dit-il en se relevant, admissible que je sache coudre et que l’habit d’un grand homme soit déshonoré !... ». Ça c’est pour la légende. Pour Christian Gury, l’on doit plutôt soupçonner une rencontre au zinc entre un écrivain ayant déjà donné le meilleur de son œuvre et un bohème notoire et pittoresque du quartier latin, connu sous le nom de Bibi-la-Purée.
Généralement coiffé d’un chapeau haut de forme d’où s’échappaient quelques cheveux épargnés par la calvitie, le cou emprisonné dans un col de hauteur inusitée et d’empesage négligé, perdu dans d’invraisemblables redingotes, des souliers éculés que recouvraient, de sordides guêtres blanches, un sourire édenté et voici le portait sans retouche du roi des petits boulots : vente de cartes postales, cirage de bottes avec une brosse chauve, … Jehan Rictus le décrit dans sa complainte « pour complaire à Bibi » :
Stupeur du badaud, gaîté du trottin,
Le masque à Sardou, la gueule à Voltaire,
La tignasse en pleurs sur maigres vertèbres
Et la requinquette au revers fleuri
D'horribles bouquets pris à la poubelle,
Ainsi se balade à travers Paris,
Du brillant Montmartre au Quartier latin
Bibi-La-Purée, le pouilleux célèbre,
Prince des crasseux et des Purotins
Le pittoresque de Bibi n’est pas du goût de tout le monde et notamment de Raoul Ponchon qui dans une de ses Gazettes rimées épingle sa trogne : « Vous le connaissez, ce minable – hâve pisseux, déguenillé »
Profession clochard. Selon ses contemporains, le secrétaire de Verlaine apparaît comme un mendiant, un pilier de bistrot, un soiffard, un tapeur professionnel plutôt qu’un pauvre hère cherchant à travailler. Bibi-la-Paresse est doté d’un long poil au creux de la main.
Roi de la fauche des parapluies, proxénète sur les bords, le cireur entremetteur assure sa pub et sa gloire en exécutant des pitreries aux terrasses des cafés du Quartier Latin, en déclamant des poèmes et en concluant « On n’a pas de chaussettes mais on a de la littérature ! Et moi qui suis l’ami des Décadents, ça ne m’empêche pas de savoir François Coppée ! »
Le mendiant devient très vite le collaborateur dont ne peut se passer un Verlaine jouant le double jeu de la bigamie entre Eugénie Krantz et Philomène Esther Boudin. Confident, messager, espion, faiseur d’embrouilles, Bibi les espionne pour le compte de Verlaine et ne fait que brouiller les cartes. Sous la pression de ses maîtresses, Verlaine renvoie Bibi qui malgré tout restera son factotum, et le supprime de son œuvre. Bibi s’attribue le rôle de secrétaire et entretient la légende.
Les compagnons de la sainte Absinthe. Bibi fait partie de la cour de Verlaine parmi lesquels Coppée, Moréas, Barrès, Montesquiou, de Régnier, Huysmans, .... Le secrétaire, privilège suprême, est autorisé à vider les fonds de verres de son illustre Maître. Gabriel Millandy se souvient d’un grand remous un soir au Caveau du Soleil d’Or : « Verlaine avait vidé son verre et commandait qu'on lui en apportât un autre. Le patron crut devoir refuser au poète déjà gris, la drogue qu'il réclamait avec insistance. Verlaine entra dans une grande colère et, de son bâton frappant la table comme un enfant rageur, il renversa son verre vide qui tomba sur le sol et se brisa à ses pieds. Alors, doucement, nous nous approchâmes, et pieusement nous en ramassâmes les morceaux ».
Ecœuré par le spectacle d’un Verlaine affalé sur son compagnon de beuverie sentant le vieux rat pourri, Jean Roseyre déplore que l’un des plus grands poètes du monde : « s’acheminait par la rue qui mène au Panthéon flanqué de la mère Souris, une tireuse de cartes, et de Bibi-la-Purée »
Hidalgo des poubelles mais roi de la Bohème, Bibi-la-Purée a du savoir-vivre. Le jour où il hérite de 1 500 francs, il offre un repas à tous ses amis : « On n’hérite qu’une fois ! »
Le 8 janvier 1896, Verlaine rejoint les étoiles. Pour un bel enterrement, ce fût un bel enterrement : corbillard de cinquième classe, débauche de fleurs, cortèges d’officiels, d’hommes de lettres, d’admirateurs et bien sûr dans le lot : Bibi-la-Purée. Discours de François Coppée… Arrivés au cimetière, des imprudents déposent leurs hauts de forme et leurs parapluies. Bibi-la-Purée ne perd pas son temps : il vole quatorze parapluies. Il vendra jusqu’à vingt fois la canne du Maître et ses porte-plumes et portera sa chemise sans jamais la laver jusqu’à sa mort.
S’introduisant partout sans y être le moins du monde invité, Bibi-la-Purée rencontre un bon accueil chez les rapins qui l’hébergent et le nourrissent. Il inspire des peintres tels que Steinlen, Jacques Villon, Picasso.
Bibi-la-Purée meurt le 28 juillet 1903 à l’Hôtel Dieu. Son corps sera disséqué à l’école de Médecine et jeté à la fosse commune.
Mireille HEROS
D’après Bibi-la-Purée, compagnon de Verlaine de Christian Gury, éditions KIME