Gaston Miron : le Pouchkine québécois
Spécialiste de la francophonie et passionné de poésie québécoise, Axel Maugey était l’invité de la conférence de l’Académie de la Poésie Française du 13 avril 2022, consacrée à Gaston Miron, poète et politique, amoureux de la langue française
.Alors qu’il n’a que 18 ans, Axel Maugey tombe en amour avec le Québec et sa littérature Sa grand-mère, qui souhaite revoir une cousine religieuse dans une congrégation québécoise, lui demande de l’accompagner. « Toute une aventure, raconte-t-il. Nous avons voyagé à bord d’un Constellation et avons atterri sous un soleil de plomb. Là une dizaine de Français nous attendaient. » Il n’en fallait pas plus à l’adolescent pour pénétrer la beauté de ce pays par la littérature de Samuel Champlain et de tous les héros qui bâtirent la Nouvelle France. Axel Maugey se souvient encore de cette première visite de la Belle province où ingénieurs français et québécois construisaient au coude à coude le métro de Montréal, où des milliers d’ouvriers, véritables armoires à glace, bâtissaient un empire hydroélectrique.
Décembre 1968, retour sur le campus de Montréal avec une météo nettement moins clémente. Objectif : étudier le rôle de la poésie dans l’évolution de la société québécoise. La place du français et l’indépendance de le Belle province échauffent vite les esprits à l’époque (on se souvient du vive le Québec libre du général de Gaulle). La révolution dite tranquille suscite un mouvement d’affirmation nationale dont René Lévesque est le principal artisan. Il lutte pour que l’éducation des Inuits se fasse en français. Néanmoins la langue française jugée trop élégante, trop parisienne agace nombre de Québécois amoureux de leur parlure. Quelques semaines plus tard, raconte Axel Maugey, une voix se fait entendre : celle de Gaston Miron « Pendant que certains ont intérêt à ce que Français et Québécois se chamaillent afin de savoir s’il faut dire « joual » ou « cheval », c’est le mot horse qui passe. ». Tout est dit.
Poète de la résistance. Sur les conseils de Jacques Brault, poète québécois, Axel Maugey décide d’approcher Miron le Magnifique et prépare un questionnaire qui compte pas moins de 42 questions et dont les réponses seront utilisées pour sa thèse.
En effet, arrêté à la suite des événements de 1970, Miron est reconnu comme le poète de la résistance. « A bien y penser, poursuit, Axel Mauger, cet homme très complexe est un pur cristal qui accueille ce qu’il y a de plus précieux dans la nouvelle identité québécoise, arrimée à la fois à ses origines françaises, indiennes ou autres. Plus qu’aucune autre personne, il s’est probablement le mieux identifié à cette Terre Québec. »
Issu d’une famille de cinq enfants, Miron s’établit à Montréal à l’âge de 19 ans et y occupe plusieurs emplois tels que commis et serveur tout en suivant les cours du soir en sciences sociales à l’université de Montréal. C’est là qu’il rencontre le poète Olivier Marchand avec lequel il commence à collaborer.
Entre 1947 et 1953, il découvre les multiples facettes de sa province, ses paysages, ses habitants, son patrimoine, les conditions sociales qui y règnent et ses différents visages politiques. En 1953, avec quelques amis, dont Olivier Marchand, il fonde à Montréal les Éditions de L'Hexagone, la première maison d’édition consacrée exclusivement à la poésie au Québec. « Le poète-éditeur s’efforce de publier tout ce qui lui paraît original, fécondant, pour élever le niveau culturel de son pays, explique Axel Maugey. Il se considérait comme un animateur littéraire. Il vivait plus que chichement avec à peine 50 ou 60 dollars par semaine. Voilà quels étaient les revenus de cet homme considéré comme le plus grand poète du Québec ! » Mais l’essentiel est ailleurs pour l’auteur de l’homme rapaillé : un désir farouche de liberté et une volonté de porter toujours plus haut la poésie québécoise. A la question : quel est le poète québécois qui incarne le mieux le Québec depuis 1960 ? Sans aucune hésitation, la réponse fusait : l’ensemble des poètes québécois est le Poète National.
Le Pouchkine québécois. Gaston Miron fait partie d’une génération de poètes militants, fortement impliqués dans la vie politique de leur époque. Il est à la fois un poète lyrique et épique, doublé d’un homme en lutte, portant sur ses épaules l’émancipation de son peuple. D’ailleurs, dans l’homme rapaillé il revient souvent sur les moments cruciaux qui lui ont fait prendre conscience de la situation minoritaire des Québécois en Amérique du Nord : l’humiliation subie dans sa jeunesse à Sainte-Agathe-des-Monts, quand la petite ville se remplissait de touristes anglophones pendant l’été ; l’analphabétisme de son grand-père; le choc qu’il ressent à son arrivée à Montréal, devant la présence envahissante de l’Anglais. Bref, le sentiment persistant d’être un étranger dans son propre pays.
Le poète a rendu définitivement ses lettres de noblesse au Québec. Et comme le souligne Axel Maugey : Miron ce n’est rien d’autre que la goutte de sang venue de la France amie, qui s’est incrustée dans la neige du Québec. Elle a fait tache. Elle s’est répandue. Elle rayonne à présent cette goutte de sang, couleur vivace, au cœur de l’envol, de la résistance et de la vie.
Mireille HEROS
19 avril 2022
Déclaration
à la dérive
Je suis
seul comme le vert des collines au loin
je suis crotté et dégoûtant devant les portes
les yeux crevés comme des oeufs pas beaux à voir
et le corps écumant et fétide de souffrance
je n'ai pas eu de chance dans la baraque de ma vie
je n'ai connu que de faux aveux de biais le pire
je veux abdiquer jusqu'à la corde usée de l'âme
je veux perdre la mémoire à fond d'écrou
l'automne est venu je me souviens presque encore
on a préparé les niches pour les chiens pas vrai
mais à moi, ;a mon amour, à mon mal gênant
on ouvrit toutes grandes les portes pour dehors
or dans ce monde d'où je ne sortirai bondieu
que pour payer mon dû, et où je suis gigué déjà
fait comme un rat par toutes les raisons de vivre
hommes, chers hommes, je vous remets volontiers
1 — ma condition d'homme
2 — je m'étends par terre
dans ce monde où il semble meilleur
être chien qu'être homme
Je t'écris
Je t'écris pour te dire que je t'aime
que mon coeur qui voyage tous les jours
— le coeur parti dans la dernière neige
le coeur parti dans les yeux qui passent
le coeur parti dans les ciels d'hypnose —
revient le soir comme une bête atteinte
Qu'es-tu devenue toi comme hier
moi j'ai noir éclaté dans la tête
j'ai l'ennui comme un disque rengaine
J'ai peur d'aller seul de disparaître demain
sans ta vague à mon corps
sans ta voix de mousse humide
c'est ma vie que j'ai mal et ton absence
Le temps saigne
quand donc aurai-je de tes nouvelles
je t'écris pour te dire que je t'aime
que tout finira dans tes amarré
que je t'attends dans la saison de nous deux
qu'un jour mon coeur s'est perdu dans sa peine
que sans toi il ne reviendra plus
Quand nous serons couchés côte à côte
dans la crevasse du temps limoneux
nous reviendrons de nuit parler dans les herbes
au moment que grandit le point d'aube
dans les yeux des bêtes découpées dans la brume
tandis que le printemps liseronne aux fenêtres
Pour ce rendez-vous de notre fin du monde
c'est Avec toi que je veux chanter
sur le seuil des mémoires les morts d'aujourd'hui
eux qui respirent pour nous
les espaces oubliés
Gaston Miron
1928 : Gaston Miron naît le 8 janvier à Sainte-Agathe-des-Monts.
1950 : Il publie ses premiers poèmes dans les quotidiens Le devoir, Liberté et Parti pris.
1953 : Gaston Miron fonde avec cinq autres personnes, fonde les Éditions de l'Hexagone qui se spécialise en poésie. Il en sera le directeur pendant 30 ans. Il publie le recueil de poésie Deux sangs.
1959-1960 : Gaston Miron reçoit une bourse du Conseil des Arts du Canada pour aller étudier l'édition en France.
1970 : Il publie la première édition de son recueil L'homme rapaillé aux éditions des Presses de l'Université de Montréal et reçoit le prix littéraire France-Canada. Il est emprisonné à la suite de la publication de son recueil L'homme rapaillé.
1971 : Il reçoit le Grand Prix littéraire de la Ville de Montréal pour L'homme rapaillé.
1975 : Il publie son recueil de poésie Courtepointes aux Éditions de l'Université d'Ottawa.
1981 : Il reçoit le prix Guillaume-Apollinaire pour L'homme rapaillé.
1991 : Il reçoit la Médaille de l'Académie des lettres du Québec et le prix de l'Ordre des francophones d'Amérique
1993 : Il reçoit le prix Le Signet d'Or dans la catégorie Rayonnement à l'étranger.
1995 : Il est reçu Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres de la République française et reçoit un doctorat honorifique (honoris causa) de l'Université de Montréal.
1996 : Gaston Miron devient Officier dans l’Ordre National du Québec. Il décède le 14 décembre à Montréal et a droit à des funérailles nationales.
2003 : Un recueil de poésie nommé Poèmes épars est publié aux Éditions de l'Hexagone. Il sera suivi en 2004 du recueil Un long chemin en 2004.
Universitaire français, spécialiste de la Littérature Française du vingtième siècle et des littératures francophones, Axel Maugey est également essayiste, chroniqueur et consultant.
Après un doctorat ès lettres en 1974 à la Sorbonne, il a, entre autres, enseigné à
l’Université Mc Gill de Montréal, de 1971 à 2000, à l’École des Hautes études en Sciences sociales à Paris, en 1982, à l’Université Stendhal de Grenoble, en 1989 et à l’Université de Chiba au
Japon, entre 1990 et 1995.
Parallèlement, il a été chroniqueur de radio à Canal Académie entre 2006 et 2012, il a collaboré au Figaro comme correspondant particulier pour le Canada, et à bon nombre de journaux et revues comme Vie des Arts, Revue des Deux Mondes, le Bulletin critique du Livre français, la Revue de l’Amopa…
Membre de l’Académie européenne des Sciences, des Arts et des Lettres, depuis 1990, il a été représentant pour l’Europe de l’Institut Newman de 2001 à 2004.
En 2006, il a reçu le Grand Prix de la Francophonie de la Société de Géographie et
le Grand Prix de l’Académie française (médaille de vermeil) et a été distingué par plusieurs décorations en France et dans la Francophonie où il participe à de nombreux colloques. Membre,
vice-président et Président d’honneur d’une quinzaine d’associations, il est aussi conférencier international.
Il a publié entre autres ouvrages :
Le roman de la francophonie (Montréal, Humanitas ; Paris, Jean Michel Place, 1993),
Les élites argentines en France (L’harmattan, 1999),
De la francophonie québécoise à la francophilie internationale (Humanitas, 2001),
L’avenir du français dans le monde - essais, (Humanitas, 2002),
Désirs francophones, désirs francophiles, (Paris, Lettres du monde, 2004),
Le désir de Français dans le monde (Paris, Vaillant, 2009),
Le Français au cœur du partage. 2000-2012 (Éditions Thierry Sajat
Gaston Miron : le poète et le politique – Un amoureux de la langue française. 2021 (Éditions Unicité)