Vincent Muselli, un humaniste inspiré
Nul ne semble avoir songé à commémorer le soixantième anniversaire de la disparition de ce grand poète qui ne mérite pas l’oubli ! Né à Argentan dans l’Orne le 22 mai 1879, il rejoignit le paradis des Muses (dans Muselli, ne lit-on pas…muse ?), le 28 juin 1956, et tel était son dénuement que c’est le Conseil de Paris qui offrit sa concession perpétuelle au cimetière des Batignolles, là où se recueillirent souvent par la suite, Jean Loisy, Noël Ruet etc.
Le fantaisiste historique Robert de la Vaissière, dès 1924 le signale dans son anthologie (1) :
Etudes chez les Jésuites au Mans, puis à Paris, à Sainte- Barbe, enfin à la Sorbonne. Fait de tardifs débuts littéraires en 1908 dans la revue Les Chimères, dont il devient le collaborateur assidu. Et parmi les poèmes cités, nous trouvons « Intérieur » :
Qu’il faille leur concours pour gonfler l’édredon,
Suspendre les rideaux, dresser les étagères,
Les Dieux sont avec toi, belle Iris, quand tu gères
La chambre et les loisirs dont l’amant te fit don.
L’anthologie des poètes français contemporains, en 1932, lui consacrait une copieuse notice (2) : « La production de M. Vincent Muselli ne dépasse guère un millier de vers. Ses poésies, qui ne sont souvent que des quatrains, il les a faites petites pour les faire avec plus de soin. C’est que ce fier et modeste artiste est moins soucieux d’arriver que de rester. La poésie est pour lui ce qui dure, et rien ne dure que ce qui est parfait. La recherche de la perfection l’amène à éliminer l’accessoire, à resserrer toujours plus sa pensée ; en même temps, elle maîtrise, tempère l’inspiration et prête à sa muse une sorte de pudeur classique. Si sensible que soit Vincent Muselli, son expression reste sobre, discrète, harmonieuse.» Parmi les poèmes reproduits, retenons « L’instant » :
Oh ! cruel trépas !
Instant, ne fuis pas
-Qu’amour te retienne-
Sans avoir été
Celui qui contienne
Une éternité !
De son côté l’anthologie de la maison de Poésie (3), parue en 1955, lui consacre huit pages, et rappelle que Vincent Muselli reçut son grand prix en 1932. Nous ne pouvons qu’approuver sa nomination à son Conseil en 1958, quand nous lisons cette flamboyante profession de foi :
Poésie, ô fier tourment !
Beaux éclairs, enfantement,
O Poésie, ô montée
Sublime, heure prométhée
Où la Lyre, en son effort,
Fixe l’Olympe et le sort.
La revue Points et Contrepoints lui consacra un numéro spécial en juin 1957(4),avec un avant-propos de Marie Noël : « Je l’ai tant admiré que je ne me rassasierai jamais de l’admirer plus encore» et un article de Jacques Marlet qui raconte ce déjeuner d’un samedi de décembre 1952, à Auxerre, en compagnie de Marie Noël « qui se termina à l’heure du dîner et, comme la nuit était venue, nous décidâmes d’accompagner Marie Noël jusqu’à son logis…Place de la Préfecture, Louis Blanc se mit à chanter à pleine voix la Carmagnole. Un gardien de la paix qui veillait sur le sommeil du préfet de l’Yonne s’approcha de nous, nous prit à partie et, sans la présence de Marie Noël et la Légion d’honneur de Vincent Muselli, peut-être eussions-nous passé la nuit au poste de police. » Dans ce même numéro, Alexis Curvers témoigne : «Vincent Muselli est le plus actuel des poètes, précisément parce qu’il est le plus traditionnel. Et son originalité éclate dans sa soumission aux règles fondamentales du langage, c’est-à-dire aussi de l’univers. » Et Jean Rousselot ajoute : « Comment ne pas reconnaître en lui cette grandeur sans âge qui met un Nerval, un Hôlderlin au premier rang des poètes contemporains. Hommage, sincère hommage au parfait mainteneur du vers français que fut Vincent Muselli, et admiration sans réserve chaque fois qu’en un vers il met un contenu propre à renouveler notre conception de l’univers. » André Thérive, de son côté, note :« Ses vers…donnent une leçon et ils rapprochent de nous à jamais, comme un ami familier, un gai compagnon, cet homme que l’éternité nous a pris parce qu’il en était digne. »
La même revue, dans sa livraison de juin- juillet 1958 (5), rapporte : « L’inauguration de la plaque apposée sur la maison où vécut Vincent Muselli, cérémonie prévue pour le 17 mai, a été interdite en raison des événements. Nous comprenons les consignes données pour assurer l’ordre…mais nous nous étonnons que le lendemain, soixante mille personnes aient pu se rendre à Colombes pour assister à la finale de la Coupe de France. Les poètes plus dangereux que les amateurs de ballon rond ? Voilà un thème intéressant à développer. »
Heureusement, cette cérémonie put avoir lieu, rue Legendre, le 18 octobre, et la même revue reproduit (6) le discours que prononça le président Yves Gandon, au nom de la Société des Gens de Lettres : « Son œuvre est relativement peu abondante, mais qu’importe, si l’on peut y admirer quelques-uns des plus beaux poèmes de notre temps ? Il avait le souci de la perfection. Un vers boiteux ou chevillé, une faute de métrique ou de syntaxe, le faisaient souffrir comme une blessure…Je crois que, seuls, les vrais connaisseurs de la langue française, ceux qui en goûtent pleinement la substance et la texture, le moelleux et le fini, la rigueur et la souplesse, peuvent prendre un plaisir sans mélange à l’expression solide et savoureuse, compacte et bien ordonnée par où s’est distingué celui que nous honorons. »
Dans une livraison postérieure (7), en décembre 1960, nous lisons un texte peu connu de Muselli sur « le poète de notre temps » où il note en particulier : « Le jeu de la poésie se mène au plus intime de l’activité des hommes et dessine à l’avance leur figure et leurs destins. La place d’un mot dans tel vers de Virgile a eu plus d’importance que le tracé des frontières d’Auguste…Le rôle du poète, c’est de maintenir inaccessible le trésor et le secret, et, en conséquence, de conserver intactes et vierges toutes les faveurs du futur. Son devoir, c’est en restant attentif, et d’une attention passionnée, aux palpitations des événements, de ne s’attacher qu’à l’Eternel, à l’image de ce signe sublime qui, reliant tous les possibles, demeure immobile quand tourne l’Univers. » et, à l’automne 1963, nous apprenons (8), qu’une statue a été inaugurée place du Collège à Argentan, sa ville natale, et que Rouben Mélik, au nom de la Direction Générale des Arts et Lettres, y prononça en particulier ces mots : « Tout le vieux jeu des vers a été pour ce remarquable artisan du langage son meilleur allié contre l’oubli, et si trop peu l’estimèrent à sa juste valeur, il n’en est pas moins assuré de garder sa place – et non la moindre -, à côté de poètes qui eurent la bonne fortune de la consécration publique et publicitaire. »
En 1969, rendant compte d’une émission radiophonique, la même revue (9) précise : « Nous avons écouté, il y a quelques mois déjà, une émission réalisée par Jeanne Rollin- Weisz et entièrement consacrée à Vincent Muselli. Grâce au dévouement d’Hélène Desmaroux, présidente des « Amis » du poète, nombre d’auditeurs ont découvert l’œuvre de Muselli. Les commentaires…étaient illustrés de poèmes dits par Michel Bouquet et Jean Négroni. Il eut été souhaitable de pouvoir citer le mémoire du diplôme d’études supérieures du jeune Michel Seyrat. Mais les programmes de la radiodiffusion ont des impératifs qui ne tiennent pas compte de nos vœux. »
Peu après sa disparition, deux ouvrages le mentionnèrent, d’abord l’anthologie de Marcel Arland (10), en 1960, qui note : « Ce poète, si discret, n’a point cherché à surprendre. Mais ce qu’il a fait, il l’a fait avec amour et patience, et il a su l’amener à une quasi- perfection. Son œuvre aussi bien offre une sûre diversité, de la noble délicatesse des Travaux et des Jeux à la grâce aiguë des Strophes de Contre- Fortune, depuis les sonnets des Masques, qui n’ont pas moins de saveur et de fermeté que ceux de Saint- Amant, jusqu’aux Sonnets moraux dont l’accent sonne haut et plein. », puis le Livre d’Or de la Poésie française (11), où Pierre Seghers précise : « Epris des formes classiques, Muselli fut mieux qu’un excellent artisan du sonnet et de la ballade. Sa voix est celle d’un authentique poète dont le parfait métier s’irise parfois d’un reflet d’ironie. ».
En même temps paraissait le remarquable hommage publié par Jean Loisy aux éditions Points et Contrepoints (12).
De son côté, dans la collection « Poètes d’aujourd’hui », Hélène Desmaroux livrait en 1968 une copieuse biographie du poète, enrichie de photographies (13).
Pour entendre à nouveau évoquer Muselli, il faudra attendre le Cerf- Volant, d’abord en 1979 sous la plume de Victor Bernard (14) : « Il ne croyait pas au progrès en art, et il était bien obligé de s’apercevoir comme tout le monde que, depuis que la prosodie traditionnelle a été abandonnée, on n’en a pas encore trouvé d’autre, sinon dans des techniques nouvelles qui n’ont jamais survécu à leurs inventeurs, ou dans des assouplissements aux règles qui permettent seulement d’être poète à moindre frais. Autrement dit, il y a une langue propre à la poésie. Cette conviction l’empêchait de croire au vers « libre, c'est-à-dire vague », car le premier trait de la poésie est la rigueur. Est-ce à dire que Muselli se soit toujours refusé à innover ? On pourrait le croire, puisqu’une de ses formules était « que ce sont les mauvais poètes qui ont besoin d’inventer des techniques » Ceux qui se méfient de l’éloquence seront conquis par tant de simplicité alliée à tant de densité et de grâce. Ailleurs ils hésiteront peut- être un peu, parce qu’évidemment l’œuvre a été conçue à contre- courant de toutes les tendances qui semblent l’emporter aujourd’hui. Mais Muselli s’est tout à fait moqué de la mode. Il n’a pas voulu être un poète de son temps, mais un poète de tous les temps. A lui plus qu’à aucun autre convient cette amère réflexion de Renan que, lorsqu’on a le malheur de vivre dans une basse époque, la meilleure chance qu’on ait d’y survivre est encore d’avoir passé pour démodé. » Puis en 1982, sous celle de Roland Le Cordier (15), nous lisons : « Une réunion s’est tenue chez la présidente Josette Brès, où un vibrant hommage a été rendu à Hélène Desmaroux, décédée il y a dix ans. Une stèle a été dédiée le 16 juin au Jardin des Poètes…J’ai connu Muselli vers la fin de sa vie. Il passait au milieu de la foule sans la voir. La foule, elle, le voyait, ce personnage original, portant haut le regard et le menton, au front bombé sous la crinière noire, à l’allure olympienne. Ceux qui l’ont fréquenté le qualifièrent affectueusement de vagabond supérieur, de dernier bohème littéraire…Vivant de peu, il se consacra entièrement à son art, qu’il voulut achevé dans sa rigueur et son idéal ; il dénonçait le « vers libre » comme « vague alors que le premier trait de la poésie, c’est la contrainte.» Il y a dans ses poèmes une constante élévation, un besoin d’azur, il n’est que de le citer …Ses amis furent nombreux à l’aller voir dans sa petite chambre de l’hôpital Beaujon où il s’éteignit, au matin du 28 juin 1956, léguant en quatre vers ultimes, son message et la clé de son œuvre :
Et dès cette heure, à jamais jointe,
Ton âme par ce pacte ailé
Que, dans ton sang, la flèche a scellé,
Légère et dure et toute en sa pointe. »
Robert Sabatier, dans sa monumentale Histoire de la poésie française (16) lui consacre ces lignes éloquentes: « Ce poète contrasté a su allier à une œuvre fière, hautaine, sévère même, une finesse délicieuse et un soupçon d’ironie qui le firent admirer des poètes de cette école fantaisiste que nous rencontrerons…Libre, indépendant, ce solitaire bienveillant voyait dans la perfection de la forme une image du système de l’univers dont il voulait saisir ce qu’il a de durable sans se soucier des transformations rapides de la société…Peu lu par les jeunes poètes de l’avant- garde, parfois même inconnu pour eux et assimilé injustement à la troupe moutonnière des rimeurs, Muselli recèle des trésors. »
Jean-François Revel prendra le relais, en 1984, en reproduisant dans son anthologie (17), le poème suivant :
Mais ces oiseaux qui volaient haut dans le soir,
En chantant malgré le vent et malgré l’ombre,
Disaient- ils point, ah, si fiers en ce décombre,
L’inexorable dureté de l’espoir.
Il faudra attendre 1993, et le Trésor de la Poésie française de Jacques Charpentreau (18) qui note : « Il fut professeur, tout en participant activement à la vie littéraire parisienne. Dans la tradition de Jean Moréas, du symbolisme et de l’Ecole romane, il écrivit des poèmes d’une facture parfaite, d’une grandeur toute classique, mais on y devine aussi, sous la spiritualité, une secrète mélancolie. » En 1995, le Lexique des poètes français, paru sans nom d’auteur (19), lui consacre un court passage : « Il se tourne, dans des vers strictement classiques et ciselés avec soin, vers l’antiquité gréco- latine et, d’une manière générale, la poésie du passé. »
Puis l’académie de la poésie française, pour son cinquantenaire en l’an 2000, lui consacrera une page en publiant son poème « Fleurs » (20) dans l’anthologie publiée à cette occasion :
Ames du Feu ! esprits dangereux des Essences !
Que ne puis-je, vaincu par vos fauves puissances,
Dans la tranquille ardeur d’un grand midi vermeil,
Au jardin reflétant la clarté qui l’arrose
Et tissant mon linceul de soie et de soleil,
Mourir sous la caresse éclatante des roses !
Cette œuvre superbe a été publiée en son temps par la revue « Points et Contrepoints », aujourd’hui disparue. Qui relèvera le flambeau, en sortant d’un ombre injuste cette pure gloire de nos lettres ?
Daniel Ancelet
(1) : Anthologie poétique du XXe siècle, 2 tomes, Editions G. Grès et Cie, Paris, 1924.
(2) : Par Gérard Walch et André Dumas, tome IV, Delagrave, 1932.
(3) : Anthologie de poésie française, Editions Maugard, 1955, 420 pages.
(4) : Points et Contrepoints, n°40, 64 pages consacrées à Vincent Muselli.
(5) : Points et Contrepoints, n°44, juin – juillet 1958 ;
(6) : Points et Contrepoints n°48, Avril- mai 1959, 56 pages.
(7) : Points et Contrepoints n°55, décembre 1960, 64 pages.
(8) : Points et Contrepoints n°66, octobre 1963, 64 pages.
(9) : Points et Contrepoints n°89 de mars- avril 1969, p.68.
(10) : Anthologie de la Poésie française, Stock, 1960.
(11) : Marabout Université, 1961.
(12) : Vincent Muselli, par Jean Loisy, 144 pages, 1961.
(13) : Vincent Muselli, n°174 de la collection, 196 pages, Seghers éditeur, 1968.
(14) : Le Cerf- Volant, n° 106, 4ème trimestre 1979.
(15) : Le Cerf- Volant, n° 115, 2ème trimestre 1982.
(16) : La poésie du XXe siècle, Albin- Michel, 1982.
(17) : Une anthologie de la poésie française, 656 pages, Robert Laffont, 1984.
(18) : Trésor de la poésie française, Le livre de poche jeunesse n°1041, Hachette, 1993.
(19) : Lexique des poètes français, Editions de la Fontaine au Roy, Paris, 1995.
(20) : Anthologie sous la direction du président Jean de Lost- Pic, ARCAM, 2000.