Dans le cercle de poètes animé par Vauquelin de la Fresnaye à qui Henri III a confié la composition d’un art poétique, François de Malherbe rencontre sa muse : Geneviève Rouxel, poétesse et musicienne. Décédée prématurément le 27 mai 1575 dans des circonstances assez floues, il lui dédie « les larmes du Sieur Malherbe » (178 alexandrins!)
Jean-François et Nicole
« … Des neuf muses la muse, et des grâces la grâce !
Geneviève Roussel, Geneviève l’honneur ;
De ce cercle, et de Caen la perle et le bonheur ;
…
Ce luth, qui sous tes doigts, d'une douce harmonie
Charmait des écoutants et les yeux et
l'ouïe,
…
À cette heure a perdu ce qu'elle avait de beau,
Son sucre et son parfum, hôtesse du
tombeau.
Ce tant pudique sein, cette main
blanchissante,
Ces pieds qui en hiver faisaient dessous leur
plante
Naître un émail luisant de fleurons
bigarrés,
Flétrissent maintenant, au sépulcre serrés
:
Et bref plus entre nous ne reste aucune
trace,
Fors * un bruit glorieux de ta glorieuse
grâce. »
*excepté
Grâce aux relations nouées par l’intermédiaire de Vauquelin de la Fresnaye, Malherbe quitte sa ville de Caen en 1576 et rejoint des connaissances proches du pouvoir ; il est nommé premier secrétaire du Grand Prieur, Henri d’Angoulême. Ce dernier est envoyé en Provence pour combattre les protestants. Et le revoilà plongé dans les rivalités religieuses avec la conscience d’être un acteur de l’histoire.
Nommé Grand gouverneur, le grand prieur s’installe à Aix-en-Provence avec sa cour dont fait partie Malherbe. Il y rencontre sa future épouse Madeleine de Coriollis, fille du président du Parlement de Provence.
La cour à Aix devient un centre d’attraction pour les beaux esprits. On y crée de la poésie religieuse, de la poésie amoureuse mais aussi de la poésie légère et grivoise. Les vers du Grand Prieur auront une influence sur Malherbe. L’émulation entraîne les poètes à traiter les mêmes thèmes (atelier d’écriture poétique avant l’heure) tout en puisant aux sources latines et italiennes.
A 28 ans, le gentilhomme normand a la cote à la cour provençale et possède déjà un sacré caractère avec des jugements à l’emporte-pièce, n’hésitant pas à dire au Grand Prieur combien ses vers sont mauvais ! C’est aussi le signe de la reconnaissance du talent de cet amoureux des femmes même s’il est encore peu connu.
En témoigne le poème écrit pour Nérée, anagramme de Renée de Rieux, dite la belle de Châteauneuf1, à qui il dédie ce poème :
Le dessein de quitter une femme qui ne le contentait pas (extrait)
« …
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse,
Quelque excuse toujours en empêche l'effet
:
C'est la toile sans fin de la femme
d'Ulysse,
Dont l'ouvrage du soir au matin se
défait.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si
haute,
De ne m'en séparer qu'avecque le
trépas,
S'il arrive
autrement ce sera votre faute
De faire des serments et ne les tenir
pas. »
En dépit de la peste qui frappe la France, Aix et Salon de Provence sont épargnées. La cour du grand Prieur brille de tout son éclat avec chasses, musique, fêtes, poésies. En 1584, le prince se rend à Lyon pour y accueillir Henri III et la reine mère. Malherbe débute, selon certains historiens, la composition des larmes de Saint-Pierre.
Dans le même temps, son couple bat de l’aile, la naissance de son premier fils, Henry, ne règle rien. Avec pour parrain le Grand Prieur, l’enfant est baptisé en l’église Sainte-Madeleine. La fronde reprend chez les ligueurs. Les finances du prince s’amenuisent et celles de Malherbe également ce qui n’arrange pas ses affaires. En 1586, il prend la route pour la Normandie, en laissant sur place femme et enfant. Une page de sa vie se tourne.
1 - Après avoir été la maîtresse de Henri III, elle épouse Philippe d’Altoviti, capitaine des galères du roi, et devient la maîtresse de Henri d’Angoulême. Le mari et l’amant perdront la vie dans un duel en 1586.