Brigitte de Morgan a reçu le 15 décembre 2021 le prix Renaissance de Poésie des mains de Jean-Noël Cordier, officier des palmes académiques, pour l'ensemble de son oeuvre : l'enfance en fleurs, la poésie fleurie tomes 1 et 2. Chacun de ses livres sont de véritables oeuvres d'art, illustrés par les aquarelles de Catharina Klein
Présenter Brigitte de Morgan, c’est évoquer à la fois une femme charmante et une œuvre singulière. La femme charmante, nous l’avons devant nous, tout en sourire et en élégance très personnelle, très particulière. L’œuvre, vous la connaissez bien puisque vous avez choisi de l’honorer en lui décernant ce prestigieux prix Renaissance. La rencontre de ce soir aurait dû avoir lieu en juin 2020, mais les circonstances sanitaires en ont décidé autrement. Notre patience, et celle de la récipiendaire sont aujourd’hui, donc, récompensées, et la saveur de ce prix n’en sera que meilleure.
En premier lieu, je tiens à remercier Brigitte de m’avoir fait l’honneur de me solliciter pour le lui remettre. D’autres que moi eussent pu largement y prétendre. Je veux donc y relever principalement un signe d’amitié, de complicité peut-être, déjà ancienne dont je dois probablement l’origine à votre compagnie. En effet, notre ami Yves Tarantik, que je connaissais depuis longtemps déjà, vient me rendre visite en 2011 : « Nous avons une amie, aux « Poètes de Montmartre, » qui va publier un recueil de poèmes. Comme elle est très attachée à la perfection de la langue, du style et de la forme, elle souhaiterait faire appel à un « relecteur ». J’ai pensé à toi, qui es professeur de lettres, et à ce titre connais bien les formes littéraires et la métrique française. C’est donc par ce truchement que Brigitte et moi sommes rentrés en contact. J’avoue avoir été quelque peu désappointé par ce travail qui m’arrivait brusquement, et qui m’interrogeait. Il est vrai que ma longue carrière de professeur m’avait évidemment fait aborder, et étudier la métrique française, et je me souvenais avoir eu au temps jadis, l’insigne privilège d’avoir été l’étudiant du professeur Jean Mazaleyrat, prestigieux auteur d’un renommé Eléments de métrique française, et bien plus tard, d’avoir été l’ami du poète Jacques Charpentreau, président de la Maison de Poésie, et d’avoir été collaborateur régulier de sa revue poétique Le Coin de Table. Je ne me sentais cependant guère autorisé à apporter d’éventuelles corrections à l’œuvre d’un poète que je ne connaissais pas encore. Toutefois je me mis au travail après avoir reçu le « tapuscrit » et l’emportai en vacances dans ma propriété du Gard. Il me souvenait pourtant d’avoir rencontré Brigitte, en « tangente » si je puis dire, à l’une des matinées poétiques du poète Alain Pizérra, quelque temps auparavant.
Ce travail que j’entreprenais au départ avec assez peu de conviction, un peu comme un « pensum », dois-je avouer, se révéla progressivement comme une découverte, et une découverte attachante et singulière. Outre une écriture impeccable, je découvrais en effet des images fraîches et charmantes, une tradition issue à la fois du Parnasse et de la Préciosité, dans laquelle l’œuvre poétique de Brigitte s’inscrit évidemment. Cette œuvre, que vous couronnez ce soir, est constituée de trois abondants recueils :
La Poésie Fleurie, publiée en 2012, et qui contient 79 poèmes.
L’Enfance en Fleurs, publiée en 2014, et qui contient 96 poèmes.
Enfin La Poésie Fleurie N° 2, publiés en 2017, et qui contient 89 poèmes.
Avant de l’évoquer d’avantage, qu’il me soit permis de revenir une fois encore sur le début de notre amitié.
Les épreuves revues, Brigitte et Rodrigue m’invitèrent à les rencontrer en leur domicile, rue de Rochechouart, autour d’un thé, afin de nous mettre d’accord sur les ultimes retouches. J’entrai donc pour une première fois, qui fut suivie de bien d’autres, dans un appartement au charme très particulier, reflet de celui de la maîtresse des lieux, et dans lequel on se sent bien, entouré de nombreux et beaux tableaux anciens. On y est un peu hors de la ville et du temps, à l’abri des affres et des vulgarités du monde, et cela au cœur même de la trépidation parisienne ! La sensibilité poétique de Brigitte s’y exprime en d’autres signes, mais l’esprit en est bien le même.
L’œuvre de Brigitte, disais-je, s’inscrit dans la tradition parnassienne. En effet, elle cherche à y faire triompher une forme aboutie, une écriture travaillée, un lexique précis, abondant et diversifié, riche et chatoyant. Tous ses poèmes constituent de petits tableaux, dans un esprit proche de la perfection formelle d’un José- Maria de Hérédia. Elle y met en application les judicieux conseils de Théophile Gautier dans L’Art, dernier poème de son recueil Emaux et Camées de 1858 :
« Oui, l’œuvre sort plus belle
D’une forme au travail
Rebelle,
Vers, marbre, onyx, émail. »
( - - - )
« Sculpte, lime, cisèle,
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant. »
En effet, dans les trois recueils de Brigitte, il serait bien difficile de déceler des erreurs dans cette métrique maîtrisée. Il s’agit bien là d’un art d’orfèvre, où tous les mots sont à leur place, dans leur abondance et leur précision. A cet égard, nous pourrions reprendre le mot de Mozart le jour où l’empereur Joseph II l’avait interpelé ainsi : « trop de notes mon cher Mozart ! » « Pas une de trop, sire, » lui répondit-il.
Chez Brigitte, le souci du mot juste, de l’exactitude sémantique demeure l’une de ses caractéristiques majeures.
Toutefois, l’on pourrait être tenté de penser qu’une telle recherche de précision, qu’un tel travail d’orfèvre, pour admirable qu’il soit, l’emporterait sur la sensibilité. Or il n’en est rien, bien au contraire, puisque l’émerveillement face à la beauté de la nature et des fleurs, face à la fraîcheur de l’enfance constitue la matière même de son ouvrage et le maillage de sa pensée. C’est bien connu, gare à celui qui n’aime ni l’enfance ni les fleurs ! L’émotion naît de la contemplation des multiples formes des fleurs, de la diversité de leurs couleurs, de la variété contrastée de leur parfum. Ce thème de la fleur correspond sans doute à une sorte de réappropriation de l’une des traditions de la Renaissance :
« Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose » chère à Ronsard, par exemple.
Cette sensibilité se manifeste également dans la préciosité de l’écriture. Bien sûr, je n’entends pas ici ce terme dans une connotation dépréciative, comme chez Molière, par exemple. J’entends le terme « préciosité » dans le sens de « ce qui a du prix », qui est recherché dans sa facture. En effet ce qui est précieux est ce à quoi l’on accorde une grande importance, ce qui est rare, ce qui est raffiné. En ce sens, l’art de Brigitte s’inscrit là aussi dans une vénérable tradition littéraire.
Pour toutes ces raisons, Brigitte de Morgan est bien un poète, au sens étymologique du terme. Ses écrits s’opposent en tout point à ce pseudo art « déconstruit » trop souvent de mode aujourd’hui. Dois-je rappeler que les termes « poésie » et « poème » proviennent du verbe grec ancien « poïen » qui signifie « créer », « façonner » ? La poésie véritable est donc inséparable de la notion de travail. L’essence même de la poésie réside dans le travail de la langue, une langue très particulière qui se démarque de la prose dès le premier regard. Par sa forme, déjà, sa structure, le vers, la strophe, la rime, qui suppose un effort créateur bien particulier. Et travail de longue haleine, fait de reprises, de retouches, de remises en forme successives :
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage
Polissez-le sans cesse et le repolissez ».
Préconisait Boileau dans son Art poétique de 1674.
Pour avoir travaillé fréquemment avec Brigitte, je puis témoigner que tel est bien le cas. C’est la raison pour laquelle il lui faut du temps. Car Brigitte, comme on dit, ne « tire pas à la ligne » ! Beaucoup de recueils publiés sont courts, ce sont plutôt des « plaquettes » de quelques dizaines de poèmes au plus. Or les trois recueils publiés de Brigitte en comporte bien davantage, nous l’avons déjà relevé. On imagine aisément de quelle ténacité créatrice ils sont les fruits.
J’ajouterai que, dans un éternel souci d’esthétique, Brigitte tient à ce que l’écrin soit à l’image du contenu. Car ses livres constituent aussi de beaux objets, à regarder, à tenir en main. La couverture en est si jolie qu’il est possible de poser le livre sur la table comme un objet de décoration. Puis, en l’ouvrant, indépendamment de la lecture, on peut s’y promener, « chiner » comme disent les amateurs d’antiquités, dans la riche et abondante iconographie constituée de très nombreuses reproductions de cartes postales anciennes pleines d’un charme fait de fraîcheur et de nostalgie.
Dès lors, que souhaiter à notre chère amie Brigitte de Morgan ? De poursuivre son œuvre, bien entendu, comme sa curiosité et son goût naturels l’y pousseraient, d’explorer encore d’autres domaines. Toutefois, pour cela, une complète sérénité d’esprit lui est indispensable. Pour bien travailler, Brigitte éprouve l’impérieux besoin d’avoir l’esprit tranquille, de ne pas se sentir parasitée par des contingences contrariantes. Elle a aussi besoin, si je puis dire, d’une « tanière » où elle se sente bien et qui la préserve des turbulences, de l’agressivité et de la vulgarité du monde extérieur. Or ces deux dernières années, Brigitte a été confrontée à des difficultés qui n’ont pas ménagé sa sensibilité : la perte d’un père chéri, des soucis matériels avec une maison en Normandie, pour laquelle, je vous prie de croire, elle a démontré de réelles aptitudes pour le travail opératif ! Car Brigitte sait soigner un jardin, tailler des rosiers, comme poser de la tapisserie. Quelques soucis, également, avec la santé de son charmant compagnon, le sensible violoniste Rodrigue Milosi qui nous laisse, entre autres, un enregistrement significatif et plein de conviction des trois sonates pour piano et violon d’Edouard Grieg.
En somme, chez Brigitte de Morgan, tout est art, non seulement dans sa poésie, mais dans sa vie quotidienne en laquelle sa présence seule, sa baguette magique peut-être, sait transfigurer un lieu, une atmosphère, et nous faire pénétrer dans une sorte de parenthèse de beauté, de charme, de rêverie et de distinction, chose bien rare, et précieuse, en ce monde où la vulgarité nous blesse tant. Le prestigieux prix Renaissance, auquel Brigitte m’a fait l’insigne honneur de m’associer, ne peut être que justifié. Il couronne une œuvre poétique à la fois solide, significative et singulière. Réjouissons-nous donc avec elle, et souhaitons-lui de nous enchanter de longues années encore.
J.N. Cordier
Prix Renaissance
rue de Tocqueville