« Je n’ai pas de biographie et j’en suis très content », écrivait Jean Anouilh à Hubert Gignoux en 1946. C’était sans compter sur le talent et la persévérance d’Anca Visdei. Invitée de la conférence du 9 mars 2022, elle a levé le voile sur cet auteur de pièces de théâtre prolifique, à l’aide de la correspondance, parfois inédite, d’Anouilh, de leurs entretiens, des souvenirs recueillis auprès de sa famille et de ceux qui ont travaillé avec lui.
Un caillou dans la chaussure.
Jean-Marie-Lucien-Pierre Anouilh naît à Bordeaux le 23 juin 1910. Pour l’état civil, il est le fils de François Anouilh, tailleur, et Marie-Madeleine Soulue, professeur de piano et pianiste d'orchestre à Arcachon. Cependant lorsqu’il aura quatre ans, il devra embrasser un gentilhomme du pays qui s’apprête à partir à la guerre. Sensible et intuitif, l’enfant comprendra vers l’âge de dix ans qu’il s’agit de son père biologique. Jean Anouilh en voudra à sa mère d’avoir trompé l’homme qui l’a reconnu et qu’il considère comme son véritable père. Ce traumatisme traversera tout son œuvre.
Dès l'âge de 13 ans, il se découvre une passion pour la poésie (Rimbaud, Ronsard, Villon) et le théâtre avec Molière qu’il vénérera toute sa vie, Cocteau, Claudel, Shakespeare, Pirandello, Shaw. A 15 ans, il commence à écrire des comédies héroïques en vers, à la manière de Cyrano.
Prix de philosophie et de mathématiques, Anouilh est un élève brillant, passionné par le théâtre des quatre mousquetaires du Cartel qui allait révolutionner la scène française : Gaston Baty, Charles Dullin, Georges Pitoëff et Louis Jouvet. Respectivement metteurs en scène et directeurs du Théâtre Montparnasse ; l’Atelier ; les Mathurins et le Théâtre des Arts ; et la Comédie des Champs-Elysées puis l’Athénée.
Crime de lèse-majesté.
Inscrit à la Fac de Droit, Jean Anouilh doit abandonner ses études non pas pour le théâtre mais pour le service des réclamations des Grands Magasins du Louvre afin de subvenir aux besoins de ses parents. Emploi qu’il quitte en 1929 pour rejoindre l’agence de publicité Damour en qualité de concepteur-rédacteur. Il y croise Georges Neveux, Jacques Prévert, Paul Grimault et surtout Jean Aurenche avec qui il se liera d’amitié pour la vie.
D’une nature plutôt timide, Anouilh se lance et demande un rendez-vous à son idole : Louis Jouvet qui dirige la Comédie des Champs-Elysées où se joue « Le coup du 2 décembre » de Bernard Zimmer. Erreur fatale, il lui avoue écrire des pièces de théâtre et surtout qu’il espère le succès à l’instar de son aîné. Le maître, dont il deviendra l’assistant, en fera son souffre-douleur en le surnommant le miteux. A la recherche d’un maître ou d’un père spirituel, il offre son amitié à Pierre Fresnay.
Naissance d’un auteur.
Le 10 octobre 1931, Anouilh rejoint le 168ème régiment d’infanterie à Thionville. Il rédige des lettres d’amour pour les recrues analphabètes. Réformé temporaire, il rentre à Paris et fait représenter sa première pièce, Humulus le muet, écrite en collaboration avec Jean Aurenche en 1929. C'est un échec. il harcèle Pierre Fresnais pour qu’il joue sa pièce L’Hermine. Ce sera chose faite le 26 avril 1932 au théâtre de l’Oeuvre, dans une mise en scène de Paulette Pax. 90 représentations seront données. L'adaptation cinématographique de L'Hermine lui procure 17 000 francs de droits qui lui permettent de faire déménager ses parents « vers la banlieue de leurs rêves »
Les deux pièces qui suivent, Mandarine, créée en 1933 au théâtre de l’Athénée, et Y'avait un prisonnier en 1935 au théâtre des Ambassadeurs (dans une mise en scène de Marie Belle), sont des échecs. Ce sont à nouveau les droits cinématographiques de Y'avait un prisonnier, acquis par la Metro Goldwyn Mayer, qui permettent à Anouilh, excellent scénariste, de vivre convenablement pendant un an en Bretagne avec Monelle Valentin et sa fille, période au cours de laquelle il retravaille La Sauvage et écrit Le Voyageur sans bagage. C'est en 1935 également, que Jean Anouilh rencontre pour la première fois Roger Vitrac avec qui il se lie d'amitié et dont il reprendra, en 1962, la pièce Victor ou les Enfants au pouvoir.
Naissance d’un auteur.
Le 10 octobre 1931, Anouilh rejoint le 168ème régiment d’infanterie à Thionville. Il rédige des lettres d’amour pour les recrues analphabètes. Réformé temporaire, il rentre à Paris et fait représenter sa première pièce, Humulus le muet, écrite en collaboration avec Jean Aurenche en 1929. C'est un échec. il harcèle Pierre Fresnais pour qu’il joue sa pièce L’Hermine. Ce sera chose faite le 26 avril 1932 au théâtre de l’Oeuvre, dans une mise en scène de Paulette Pax. 90 représentations seront données. L'adaptation cinématographique de L'Hermine lui procure 17 000 francs de droits qui lui permettent de faire déménager ses parents « vers la banlieue de leurs rêves »
Les deux pièces qui suivent, Mandarine, créée en 1933 au théâtre de l’Athénée, et Y'avait un prisonnier en 1935 au théâtre des Ambassadeurs (dans une mise en scène de Marie Belle), sont des échecs. Ce sont à nouveau les droits cinématographiques de Y'avait un prisonnier, acquis par la Metro Goldwyn Mayer, qui permettent à Anouilh, excellent scénariste, de vivre convenablement pendant un an en Bretagne avec Monelle Valentin et sa fille, période au cours de laquelle il retravaille La Sauvage et écrit Le Voyageur sans bagage. C'est en 1935 également, que Jean Anouilh rencontre pour la première fois Roger Vitrac avec qui il se lie d'amitié et dont il reprendra, en 1962, la pièce Victor ou les Enfants au pouvoir.
Pittoëff : rencontre avec le succès.
Emigrés russes, les Pitoëff quittent la Suisse pour Paris en 1922. Ils partagent pour quelques temps la Comédie des Champs-Elysées avec Louis Jouvet qui comme pour Anouilh, les dédaigne. Appelés au théâtre des Mathurins, la compagnie donne La maison des cœurs brisés de Bernard Shaw, dans un décor réalisé à partir de leurs propres meubles. Succès immédiat. Jean Anouilh propose sa pièce Le voyageur sans bagage et c’est la consécration.
En 1937, Anouilh rencontre son compagnon de théâtre : André Barsacq. Leur point commun : le cinéma, Anouilh comme dialoguiste et redresseur de scénarios, Barsacq comme décorateur. Au cours de vacances studieuses en Bretagne avec femmes et enfants, Anouilh et Barsacq montent un spectacle à quatre mains : le bal des voleurs. Le soir de la générale, alors que débutent les accords de Munich, Anouilh et Barsaq sont fêtés par le tout Paris. Mais un coup de tonnerre déchire la France : la mobilisation générale suite à la signature du pacte germano-soviétique le 23 août 1939.
Photo : Yves Robert, André Barsacq et Danièle Delorme pendant les répétitions de Colombe (1951). Au mur, les costumes de J. D. Malclès
Paris a faim de théâtre...
En novembre 1940, l’équipe Anouilh/Barsacq crée Léocadia, au théâtre de la Michodière, avec Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Victor Boucher, Marguerite Duval. Léocadia n’est autre que le portrait de Monelle qui se nourrit … de champagne. La pièce sera publiée sous forme de feuilleton dans le journal Je sais tout.
La période de l’occupation insupporte Anouilh. Avec sa famille, il cachera Mila l’épouse juive d’André Barsacq. Il se réfugie dans l’écriture et rédige trois chefs d’œuvre : Antigone, qui ne sera jouée qu’en 1944, Roméo et Jeannette, et l’invitation au château.
Antigone se joue à guichets fermés mais sur ordre des autorités d’occupation, les théâtres ferment leurs portes. La pièce reprendra en septembre de la même année. Elle sera calomniée, vilipendée par certains mais son succès ne se démentira pas. Anouilh sera même suspecté de collaboration ! Depuis 2012, Antigone est inscrite au répertoire de la Comédie Française et figure dans les programmes littéraires de l’Education Nationale.
Michel Bouquet, le comédien fétiche.
Michel Bouquet débute avec le duo Jean Anouilh/André Barsacq au Théâtre de l'Atelier à Montmartre. En 1946, Jean Anouilh lui confie le premier rôle dans Roméo et Jeannette, puis suivent Le Rendez-vous de Senlis et L'invitation au château. En 1956, il interprète le rôle de Bitos dans la pièce éponyme Pauvre Bitos ou Le dîner de têtes. Bouquet doit tout à Jean Anouilh, il omettra seulement de le dire lors de son passage au grand échiquier de Jacques Chancel.
Sur tous les fronts.
Pièces, adaptations, ballets, scénarios, travailleur infatigable, Anouilh écrit sans arrêt, fait de la mise en scène. Il « commet » (c’est son expression) deux « Caroline chérie » en 1951 et 1953, d’après le roman de Cecil Saint-Laurent qui n’est autre que Jacques Laurent. Sans être croyant, lors de l’emménagement dans les vieilles pierres de sa maison de Montfort-Lamaury, l’angélus de l’église déclenchera une irrésistible envie d’écrire : « Je me levai, mis une table sur mon dos, la montai dans une chambre (…), je m’assis sur-le-champ, sans plan, sans date, sans document, sur mes souvenirs de petit garçon, sans rien qu’une inexplicable joie – je commençai l’Alouette. » Pièce portée en triomphe tant par le public que la critique, lors de ses quelques mille représentations avec dans les rôles principaux Michel Bouquet et Suzanne Flon.
Le 30 juillet 1953, Anouilh épouse, en secondes noces, Nicole Lançon dont il aura deux enfants. Avec la complicité de Nicole qui maîtrise bien l’anglais, il adapte les pièces de Shakespeare (la nuit des rois, un conte en hiver, comme il vous plaira), de Graham Greene (l’amant complaisant) ou encore Oscar Wilde (l’important est d’être aimé)...
En octobre, Anouilh offre à son public, au théâtre Montparnasse, une pièce maîtresse : Becket ou l’Honneur de Dieu. Il choisira Robert Hirsh pour incarner le roi et Georges Descrières pour le rôle-titre.
Travailleur impénitent, pendant ses vacances au Cap-Ferret, Jean Anouilh compose quarante-sept fables, soit une par jour.
Bruno Cremer et Daniel Ivernel dans Becket, 1959
Un auteur universel. Anouilh est l’un des rares auteurs français du XXème siècle à avoir connu une renommée internationale. Certaines années quarante de ces pièces sont jouées en même temps dans le monde entier. Son succès en Allemagne fut exceptionnel avec Antigone, le voyageur sans bagage, l’Alouette et l’Orchestre.
Qui dit succès dit droits d’auteur. Et Anouilh était un bon client pour la SACD, aujourd’hui la SACEM. Du fait de sa position, il n’hésitait pas à voler au secours de ses confrères en difficulté.
En 1980, Anouilh contracte une maladie virale qui lui détruit la thyroïde. Victime d'une crise cardiaque en 1983, il se retire en Suisse, avec Wetzel Ursula, sa dernière compagne. Il écrit jusqu'en 1986 ses souvenirs dans un récit autobiographique La vicomtesse d'Eristal n'a pas reçu son balai mécanique. En 1987, il reprend son scénario de Thomas More ou l’homme libre, qui sera publié quelques mois après sa mort. Le 3 octobre 1987, il décède à l’Hôpital de Lausanne.
Maître et artisan, Jean Anouilh a vécu de sa plume. Il est le dernier d’une génération pour qui le théâtre est un métier complet dans lequel dramaturge et metteur en scène ne font qu’un.
Mireille HEROS
22 mars 2022
Anouilh a lui-même organisé ses œuvres en séries thématiques, faisant alterner d'abord Pièces roses et Pièces noires. Les premières sont des comédies marquées
par la fantaisie comme "Le Bal des voleurs" (1938) alors que les secondes montrent dans la gravité l'affrontement des « héros » entourés de gens ordinaires en prenant souvent appui sur des mythes
comme "Eurydice" (1941), "Antigone" (1944) ou "Médée" (1946).
Après la guerre apparaissent les Pièces brillantes qui jouent sur la mise en abyme du théâtre au théâtre ("La Répétition ou l'Amour
puni" en 1947, "Colombe" en 1951), puis les Pièces grinçantes, comédies satiriques comme "Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes" (1956). Dans la même période, Jean Anouilh s'intéresse dans des Pièces
costumées à des figures lumineuses qui se sacrifient au nom du devoir : envers la patrie comme Jeanne d'Arc dans "L'Alouette" (1953) ou envers Dieu comme Thomas Becket ("Becket ou l'Honneur de
Dieu" en 1959). Le dramaturge a continué dans le même temps à servir le genre de la comédie dans de nombreuses pièces où il mêle farce et ironie (par exemple "Les Poissons rouges, ou Mon père ce
héros" en 1970) jusque dans les dernières années de sa vie.
Jean Anouilh a également adapté plusieurs pièces d'auteurs étrangers, Shakespeare en particulier. Il a aussi mis en scène certaines de
ses œuvres (par exemple "Colombe" en 1974), en même temps qu'il travaillait à des scénarios pour le cinéma ou à la télévision.
Il est également l'auteur de "Fables". Par ailleurs, il est aussi le créateur de la revue La Nouvelle Saison avec Jean-Louis Barrault
et René Barjavel en 1939.
(Source Babelio)
Née en Roumanie, après des études à l'Institut théâtral et cinématographique de Bucarest, section mise en scène, Anca Visdei s'exile à Lausanne avec son père. Réfugiée politique, elle suit des études de droit, de sciences politiques et de criminologie à l'Université de Lausanne et obtient une licence puis un doctorat en droit en 1979. Elle écrit des critiques de théâtre et de cinéma pour le Journal de Genève, Les Nouvelles Littéraires, le Figaro, l’Avant-scène. Elle étudie et enseigne l'art dramatique à l'école du théâtre de l'Ombre, après avoir pris des cours chez Vera Gregh.
Auteur et metteur en scène, elle est l’auteur d’une trentaine de pièces, publiées par plusieurs maisons d’édition, jouées en France et à l’étranger et couronnées par de nombreux prix.
Elle écrit également du théâtre pour la jeunesse, des contes (Les petit contes cruels), des nouvelles et des scénarios réalisés à la télévision et au cinéma. Et deux romans : L’Exil d’Alexandra chez Actes-Sud et Confession d’une séductrice chez P.M. Favre. Sa plume alerte, aborde, avec un humour qui ne cache pas l’engagement, les thèmes de l’être humain dans ses relations complexes, conflictuelles, complémentaires avec lui-même, les autres, la société... sans oublier l’exil et l’histoire. Ce qu’elle n’arrive pas à écrire, elle le peint et l’expose .
(lien avec le site d’Anca)
L’oeuvre d’Anca Visdei
Biographies
Anouilh, une biographie, Fallois, 2012.
Orson Welles, Fallois, 2015.
Alberto Giacometti, Ascèse et passion, Odile Jacob, 2019.
Atroce fin d’un séducteur, Lansman, 2002
L’exil d'Alexandra, Actes Sud, 2008
Confessions d’une séductrice ou l’éternelle amoureuse, Favre Sa, 2008
Je ne serai pas une femme qui pleure, Actes Sud Junior, 2010
Toujours ensemble, La femme pressée, 1994
La Patiente ou Femme-sujet, L’Avant-Scène Théâtre, 2003
Madame Shakespeare, La femme pressée, 2004
De mère en fille, avec Danielle Dumas, Éditions L'avant-scène théâtre, Collection des quatre vents .
Toc et Boc, Association Les Cygnes, 2009
Essais
Jambes de femmes, Editions Favre, 2002
Mademoiselle Chanel, Association Les Cygnes, 2009
Peau d’âne ou la véritable histoire de Peau d’âne racontée par le maître de musique du palais, L’Avant-Scène Théâtre, 2002
Le Secret des Pommes d’Or, la Princesse et l’Architecte, L’Avant-Scène Théâtre, 2003
La Princesse mariée au premier venu, L’Avant-Scène Théâtre, 2006