Bien planté sur ses pieds, il contemplait la tour,
Œuvre de ses aïeux quatre siècles plus tôt.
Refuge recherché des oiseaux d’alentour
Dans les joints de la pierre, à l’abri des créneaux.
Les arbres fleurissaient, et la rose grimpante
De sa tige courbée enlaçait les moellons
De la vieille bâtisse encor si élégante
Qui dominait les prés, jusques à l’horizon.
Il savourait l’instant, seigneur de son domaine,
Contemplant la Nature, alangui par ses chants,
Songeant à son destin, dispensé de la peine
Des paysans usés par les travaux des champs.
Brusquement un bruit sourd, un lent battement d’aile
Lui fit lever la tête et fixer les nuages.
Un immense oiseau noir se détachait du ciel
Survolant son donjon, tel un être sans âge.
Le bruissement du vol était étourdissant,
Comme un souffle puissant qui transperçait les os.
Il décrivit un cercle et glissa dans le vent,
Prenant possession de la terre et des eaux.
L’homme suivit des yeux la sombre créature,
Imperturbablement effectuer sa ronde.
Venait-elle troubler par cette étrange allure
La paix de son esprit, et ébranler son monde ?
L’oiseau se rapprocha, archaïque présage,
Et sa pupille noire en son iris châtain
Se fixa dans l’œil clair du noble personnage,
Pénétra dans son âme et brisa son maintien.
L’espace d’un éclair, l’homme revit sa vie,
Ses actes, ses méfaits, ses mauvaises pensées,
Ses sentiments cachés, ses lâchetés aussi,
et l’aboutissement de ses choix insensés.
L’animal fit un tour et revint vers sa proie,
Juge déterminé face à un accusé.
Il jeta de nouveau un regard dur et froid
Sur l’homme dépouillé de ce qui l’habillait.
Le bec du Grand Corbeau était épais, pointu.
On aurait dit le doigt d’un fier justicier
Descendu rétablir l’ordre par sa venue
Et redonner un sens aux choses dévoyées.
L’homme s’agenouilla et demanda pardon
Pour toutes ses erreurs, les paroles blessantes
Et le mal infligé faute d’attention
À tout son entourage, à son épouse aimante.
L’oiseau poussa un cri, de victoire ou de joie,
Vira rapidement vers les crêtes lointaines,
Laissant l’homme étourdi et vidé de son Moi.
Puis le Grand Maître ailé disparut de la scène.
L’homme très lentement, se remit sur ses pieds,
Encore chaviré par son expérience,
L’affleurement soudain de ce qu’il refusait :
La bonté, la douceur, la paix, la confiance.
Georges-Henri DUCREUX
Il marchait dans les bois, le bruissement des feuilles
Qui crissaient sous ses pieds, détournant ses pensées
De l’atroce malheur qu’un destin insensé
Lui avait réservé, le plongeant dans le deuil.
À peine entendait-il la plainte du pinson
Qui venait en écho des douleurs de son âme,
Ne pouvant supporter le départ de sa femme.
Son visage saignait griffé par les buissons.
Une bâtisse au loin apparut sur sa droite.
Il fut comme attiré par une sente étroite
Qui semblait serpenter vers ce point singulier.
Surgi d’une fenêtre, un air de violon
Le toucha en plein cœur, comme une guérison
Offerte par les cieux qui lui serait dédiée.
Georges-Henri DUCREUX
L’homme se dirigeait vers le vieux monastère.
Les moines disaient-on, grâce à leur vie austère,
Connaissaient les secrets de la paix intérieure
L’art de calmer les maux, rendre l’âme meilleure.
De grands chênes bordaient le chemin escarpé
Vers le refuge clair aux contours dentelés
Émergeant au sommet de l‘abrupte falaise,
Comme un phare inspirant pour les esprits de braise.
Mais l’homme était aveugle à ce qui l’entourait.
Seul existait en lui le mal qui l’habitait.
Il marchait à pas vifs pour quémander secours ;
Pouvoir être écouté formait tout son recours.
Il saisit le heurtoir le cœur impatient.
Le portier lui ouvrit et sourit en disant :
Entrez vous réchauffer. Le vent est bien trop froid.
Il lui offrit du thé, observant son effroi.
On m’a dit qu’en ce lieu, je pourrai trouver Dieu,
Qu’il saura me donner depuis les vastes cieux
Le baume consolant capable de guérir
Tout ce qui me travaille et me ronge à mourir.
Le moine sans un mot l’entraîna à sa suite
Lui faisant les honneurs d’une brève visite
Jusqu’à un oratoire où un cierge brillait
Comme un fanal sacré pour tous ceux qui priaient.
L’homme encore agité s’assit près de l’ascète
Pour déverser sa rage et se vider la tête.
Mais l’autre agenouillé restait plein de distance.
Puis il lui chuchota : Dieu est dans le silence.
Georges Henri DUCREUX