C’est avec une grande émotion que Thierry Sajat, président de l’Académie de la Poésie Française, rendait hommage le 4 octobre 2025 à Marie-Thérèse Arnoux, sa marraine en poésie. Une grande poétesse dont l’adolescence a été endeuillée par la disparition d’un père adoré, Maurice Arnoux, célèbre aviateur et héros des deux guerres mondiales à qui elle rendra un vibrant hommage. Ce père mythique perd la vie au combat le 6 juin 1940, abattu par sept avions allemands en terre picarde.
Marie-Thérèse voit le jour le 1er juillet 1926. Elle a donc été conçue le 1er octobre 1925, il y a tout juste cent ans, précise Marie Hélène Du pêcher sa fille, poétesse et chanteuse . Elle passe une petite enfance heureuse à Montrouge puis à Chamarande dans l’Essonne dont le maire n’est autre que son père. Lors de la fête du village, cette petit fille intrépide n’hésite pas à grimper au mât de cocagne tout en aimant la musique. Elle recevra, d’ailleurs, un piano en cadeau d’anniversaire et interprétera pour le plaisir de sa famille les plus belles valses de Chopin.
Très jeune, Marie-Thérèse manifeste un penchant pour la littérature. Mademoiselle Rèze, son professeur de français, l’encourage dans cette voie et Marie-Thérèse compose un premier poème à la mémoire de son pères :
« …sur la terre picarde
pour la dernière fois a brillé ta cocarde...
Néanmoins, Marie-Thérèse s’engage dans des études d’infirmière. Soigner les autres, avoir des enfants tel est son projet de vie. En 1948, au hasard de travaux réalisés sur une cheminée par une entreprise montrougienne, un jeune ingénieur en génie civil passionné d’histoire la séduit et c’est le mariage le 1er juillet 1948. Trois filles naîtront de cette union Marie-Hélène, Anne-Marie et Marcelle.
La vie passe mais Marie-Thérèse éprouve toujours la même passion pour la poésie. Son cahier de poésie, compagnon fidèle, la suit partout. Elle transmet l’amour de la belle écriture à ses filles :
- en chansons poétiques, poèmes mis en chanson, pour Marie-Hélène,
- en récits, poèmes et illustrations pour Anne-Marie, artiste-peintre,
- en écrits juridiques pour Marcelle, la petite dernière »
Flammes vives. Elle s’investit dans la revue de l’association Flammes Vives, créée par Jean Aubert en 1950, dont elle est secrétaire. Elle fréquente le fief de l’École fantaisiste (Francis Carco entre autres…), « Le Balcon » au 35 de la rue Mazarine dans le 6ème arrondissement de Paris. Elle y fait de belles rencontres grâce au poète, Philippe Chabaneix et sa femme, Germaine. Ils animent un petit salon littéraire au fond de leur librairie de livres rares, assis sur des tabourets marrons foncés tout en dégustant le pain de Gêne maison.
Elle croise la route de Robert Houdelot, Jean-Luc Moreau, Luc Berimont, Pierre Osenat, Jean Guirec, Micheline Dupray, Louis Forestier, Henriette Hermelin, Georges-Day, Paul Zenner, Daniel Aranjo,Elisabeth Borione, Marthe-Claire Fleury-Bonetti, François Pradelle, Daniel Ancelet, Marc Alyn, Nohad Salameh, Pierre Béarn et sa librairie en haut de la rue Monsieur le Prince…L’auteur de la formule : métro, boulot, dodo !Katia Granoff et sa célèbre galerie de tableaux. Ou encore Claude Fourcade dans le cadre de la revue Beltégeuse liée à l’Académie de Lutèce.
Marie-Thérèse suit assidûment les cafés littéraires et conférences de la Closerie des lilas, du François Coppée, du Sénat… , jusqu’à la croisière du rocher de Loreleï sur le Rhin.
Son quotidien est ponctué de rencontres avec de nombreuses personnalités :
Paul Fort et son domaine de Monthlery où il déclare :« mon âme paysanne est ma seule richesse »
Le traducteur de Boris Pasternak, en la personne de Benjamin Goriély.
Leopold Sédar Senghor qui lui remettra le prix Marceline Desbordes-Valmore en 1986
Jean-Marie Olingue comptera beaucoup dans son écriture poétique.
Mais ce sont les contre-rimes de la poésie de Paul-Jean Toulet qui influenceront la poétesse :
Puisque tes jours ne t'ont laissé
Qu'un peu de cendre dans la bouche,
Avant qu'on ne tende la couche
Où ton cœur dorme, enfin glacé,
Retourne, comme au temps passé,
Cueillir, près de la dune instable,
Le lys qu'y courbe un souffle amer,
- Et grave ces mots sur le sable :
Le rêve de l'homme est semblable
Aux illusions de la mer.
Paul Jean-Toulet
PRÉMISSES
Ton sourire est-il dans le crépuscule
Source de désir, prémisses d’amour ?
La brume s’allonge au flanc du faubourg
Quand l’ombre du soir sur tes mains recule.
Cueillerai-je en toi cette fleur nouvelle,
Plus douce que rose au printemps tardif,
Puisque ton regard aussi me révèle
L’émoi qui demeure en ton cœur pensif ?
Marie-Thérèse Arnoux, Tendres pensées
Son recueil premier recueil Tendres années, publié aux Éditions du Centre, remportera le prix « Flammes vives » en 1957. Il sera salué par le courrier de la presse Lit tout, renseigne sur tout : « Ce recueil révèle d’emblée un poète d’une sensibilité frémissante et déjà maître d’une technique rigoureuse. Marie-Thérèse Arnoux ne sacrifie pas en effet aux modes éphémères et elle observe avec fidélité les exigences de la prosodie traditionnelle. »
Puis suivront « Le temps d’un bonheur » en 1965 , collection l’Oiseau-lyre aux Éditions Nicolas Imbert, prix Paul Verlaine 1966 de la Maison de Poésie.
« Mémoire de vivre » aux Éditions Arcam en 1986, prix Marceline Desbordes Valmore, en présence de Léopold Sédar Senghor
Infatigable ambassadrice de la poésie, Marie-Thérèse Arnoux organise des événements comme une soirée poésie dans le cadre du salon de peinture de Montrouge en 1968 avec diseuses et en présence du poète Philippe Chabaneix !
Elle devient membre de la Société Des Gens de Lettres et de la Société des Poètes Français
Elle participe à la revue indépendante qui lui permet d’obtenir sa carte de presse ! . Après le Cerf Volant, elle prend en charge une revue qui lui tient particulièrement à cœur : l’Albatros
Elle se souvient d’une belle et précieuse rencontre avec Thierry Sajat, poète, organisateur et éditeur ! « j’ai tout de suite remarqué la qualité de sa poésie, son originalité », se souvient Marie-Thérèse Arnoux.
A partir de 1990, en son nouveau lieu de résidence, elle participe aux « Rencontres poétiques de Bourg-la-reine » aux côtés de Suzanne Mériaux, et Alain Duault
Depuis, sa plume court toujours et nous promet un recueil de poèmes inédits et un florilège…
Mireille HEROS
Requiem
Un poème, adressé à son père, extrait du même recueil. Montrougien de naissance et d’existence, quand il est mort pour la France, Pierre, 18 ans, Marguerite-Marie, 7 ans et Marie-Thérèse 14 ans!
Pour défendre avec courage
et fougue, la LIBERTÉ,
il a repris au nuage
son regard d’éternité.
Depuis je vis du silence
où s’abritent les instants
de notre amour en latence
dans les méandres du temps.
Mais à force de refaire
ce voyage entre les Morts,
le soleil imaginaire
de sa voix brûle mon corps.
C‘est elle qui vient m’apprendre
par des signes angoissants
que tout ne devient pas cendre
dans le monde des absents...
L’illusion de son ombre
modèle mon absolu
si bien que parfois je sombre
dans un abîme inconnu...
Et je sens revenir l’heure
où les blés l’ont accueilli,
l’emportant dans la demeure
d’un jour entre tous maudit
Lorsque la guerre aux mains noires
étranglait chacune bonheur,
faut-il croire aux offertoires
et que toujours le grain meurt ?
Jamais aucune frontière
n’empêchera le passé
de surgir dans la lumière
d’un présent martyrisé
pour nous faire en vain comprendre,
au milieu des jours amers,
l’énigme d’un univers
à la fois cruel et tendre.
L’œil du monde
Quand la paupière de la nuit
se referme sur l’oeil du monde,
en silence, le ciel féconde
l’éternité de l’infini
Mouvance
Laisse aux doigts des dentellières
le pouvoir de leurs fuseaux
qui courent des nuits entières
sur l’espace des carreaux.
Prends le chemin qui renverse
les arbres de ta frayeur
jusqu’à l’instant où s’inverse
la flamme d’un feu qui meurt.
Monte au mât de l’insolite
que sable le ciel mouvant.
Vois ce monde où tout crépite
entre l’ombre et le vivant
et que l’urgence du dire
dans un cri articulé
t’envahisse d’un vertige
infini de liberté.
Spleen
Comme un funambule avance
d’un pas retenu
sur le fil de l’inconnu
entre les jeux de silence,
en oubliant qu’un faux pas,
danseur inhabile,
brise ta vie en exil
où l’espoir n’existe pas.
Savane
Dans la savane où le vent naît
D’une force sauvage
L’été dore le paysage
Du feu qui laisse un ciel muet,
Je t’y rejoins, mais ton silence
M’offre un autre soleil
Qui m’aveugle et semble pareil
A celui de l’indifférence.
Femme-enfant
Être la fleur dans le vent,
flamme indocile,
l’enfant rêveuse et fragile
près de l’étang
et ne savoir quel nuage
peut assombrir
cet amour qui n’a que l’âge
de son désir.