40 - Villa à vendre
Déjà l'été furtif refermait à la hâte
Son pimpant catalogue aux marines couleurs,
Ses pages s'envolaient me laissant dans le cœur,
Le mal du repartir vers de nouveaux pénates.
Je ressentis soudain, en verrouillant la porte,
Un mal-être poignant et sans savoir comment
L'émotion m'engloutit en son flot virulent,
Lors, tout se délita avec la saison morte.
Mes yeux se sont posés comme papillons fous
Sur ces murs de pierre, ces jardins de lumière,
Sur la mer ondulée à ma vue familière
Que mes larmes noyaient de contours un peu flous.
Tant d'années jaillissaient dans ma tête égarée,
Ilots de souvenir dans l'océan d'oubli,
Moments privilégiés me semblant aujourd'hui
Les ultimes lambeaux de mémoire estompée.
Le poète a raison, les objets, les maisons,
Ont une âme qui vit et comme l'être cher,
S'imprègne dans le sang, s'imprime dans la chair,
Et font que vous aimez jusqu'à la déraison.
Partir, abandonner tout ce qu'on a chéri,
Imaginer qu'ailleurs il est d'autres rivages
Qui auront le pouvoir d'oblitérer les pages
D'un grand livre d'amour à peine épanoui.
Je dois me préparer à cette déchirure,
Aléas de la vie forgeant notre destin
A contrario souvent de nos propres desseins
Assujettis toujours à quelque conjoncture.
Sans me laisser surprendre, à date convenue
Et sans me retourner, je quitterai les lieux.
Pas de mots, pas de cris pour ce dernier adieu,
A l'unisson du cœur de la villa vendue.
Sept. 2010
Extrait de Nouveaux poèmes de Mikeno
07 - Béni soit le jour...
L'âpre nuit retroussait ses cotillons de moire
Devant le point du jour à l'assaut polisson ;
Dans la tiède lueur s'envolait son jupon
Qu'effilochait le vent en haillon dérisoire.
Soudain l'éclat de vie en surgissant s'embrase,
Aux lèvres de l'aurore à peine renaissant ;
Béni soit ce matin qui se lève en chantant
Aux premiers gazouillis de l'oiseau en extase.
Une fleur s'est ouverte à l'invite du vent
Distillant son arôme au jardin alentour,
Tandis qu’un paillon enivré s’enamoure
A l’ombre d’un rameau aux pétales d’argent.
La rivière s'étire en son drap de luzerne
Et se met à courir en clapots bondissants,
Jetant de-ci de-là et pour bénir les champs,
Des gouttes de son sang quand l'arbre se prosterne.
La ville s'est donnée en ouvrant ses paupières
A ce nouveau renaitre en offrande des jours ;
Du haut de ses clochers jusques au fond des cours
Carillons et clameurs s’unissent en prières.
Extrait de Nouveaux poèmes de Mikeno
19 - La femme du cimetière
Elle serrait contre elle un bouquet bien modeste,
Et les larmes perlaient sur ses joues cramoisies.
Elle était là, debout dans le froid, sans un geste
Et fixait le tombeau d'un regard ahuri.
Des tourbillons de vent agressaient les grands arbres
Et la nuit s'en venant, repoussait la lumière
Exhalant alentour le ressenti macabre
De la vie consumée redevenue poussière.
Sous un rai de lune, la frêle demoiselle
Se laissa choir à terre et lâcha le bouquet
Les fleurs éparpillées en grappe de dentelle,
Tracèrent sur le sol ces deux mots : « Je t'aimais »
Je ne saurai jamais qui était sous la pierre,
Et vers qui s'envolaient ce message et ses pleurs,
Était-ce son mari, un amant, ou un père,
Le cimetière tait les secrets sous les fleurs.
Extrait de Nouveaux poèmes de Mikeno
A ma cousine
21 - Les cousines
7e souviens-tu du temps où nous étions gamines,
Des séjours insouciants parmi nos grands-parents ?
Nous avions le même âge et nous étions cousines,
A la vie à la mort, complices, souviens t'en !
Te souviens-tu aussi de la maison voisine
Où vivaient tante Jeanne et le pitre oncle Jean ?
Souvent il racontait ses blagues libertines
Que la tante blâmait d'un air condescendant.
Te souviens-tu encor des odeurs, des tartines,
Du givre à la fenêtre aux frais matins d'avril,
Du froid dans la chambre, du feu dans la cuisine,
Du chocolat fumant, dis-moi, t'en souvient-il ?
Te souviens-tu du jour où j'ai fait la sottise,
Profitant d'un départ de la tante au marché,
D'enfermer l'oncle Jean au fond de la remise,
La fessée qui suivit ne fut pas usurpée ?
Te souviens-tu, itou, de ces étés torrides,
Des vols de moustiques se ruant sur nos bras,
Et nous vivions des jours, drapées d'insecticide
Et des nuits éveillées, enroulées dans les draps ?
Te souviens-tu du chat de notre grand-maman,
Celui dont je faillis abréger l'existence ?
Il s'en fallut de peu que ce pauvre innocent
S'en retourne «ad Patres » par faute d’inconscience.
Tu te souviens, c'est sûr, des flèches de papier,
Adroitement plantées dans le séant des poules,
Rien que pour le plaisir de les voir détaler
Et ça nous faisait rire à en perdre la boule.
Tu te souviens, je crois, que si nous étions sages,
Nous étions gratifiées, suprême récompense,
De doux gâteaux moelleux au délicieux glaçage
Dont le goût à lui seul, résume notre enfance.
Te souviens-tu toujours de nos chers grands-parents ?
Ils ont fait de nos vies ce qu'elles sont aujourd'hui,
Solidement ancrées à nos bonheurs d'antan.
C'était le temps béni, t'en souvient-il aussi ?
Extrait de Nouveaux poèmes de Mikeno